- Attention, SPOILERS -
Voilà plus de cinq ans que je n'avais pas écrit une ligne ici, à part pour accompagner mes vidéos YouTube quand j'y pensais. Mais voilà, j'ai vu The Substance le jour de sa sortie et... j'y pense beaucoup depuis.
Je vais être claire tout de suite : je n'ai pas autant aimé The Substance que je l'aurais pensé. Je m'attendais à sortir de la séance galvanisée, criant au génie, prenant à partie des inconnus avec le cheveu hirsute d'enthousiasme, l'oeil fou et un bout de popcorn sur le menton. Au lieu de ça, je suis sortie frustrée de voir tant de potentiel être peu, pas du tout ou mal exploité.
Des débuts prometteurs
Ce qui frappe dès le début, c'est la précision. Du cadre, des focales, des décors, des costumes, des couleurs, du jeu. Tout est très défini, explicite, impossible à manquer. Le jeu survolté de Dennis Quaid en archétype de gros porc cocaïné, les costumes bleu foncé de Demi Moore assortis aux murs de son appartement, le vert fluo de la substance, couleur légendaire de tout liquide puissant et/ou malfaisant qui se respecte... Ça crève les yeux : nous sommes dans une fable, un conte. Forcément, j’ai pensé aux Contes de la Crypte. C'est typiquement le ton d'un épisode : manichéen, simple, avec un déroulé rapide qui va à l'essentiel, des personnages archétypaux, et pas mal d'épisodes basés sur les aspirations physiques des personnages. Ajoutez à ça que Demi Moore avait figuré parmi les nombreux guests des Contes, et bim.
Les références cinématographiques ou littéraires qui jalonnent The Substance sont bien plus nombreuses. Sur le fond, impossible étant donné le scénario de ne pas penser à Dr Jekyll et Mr. Hyde, au Portrait de Dorian Gray ou à La mort vous va si bien. Ce qui m'a posé problème, ce sont les références sur la forme, que j'ai davantage constatées que ressenties. Je n'ai rien contre les œuvres très référencées, puisque c'est sans fin : ceux qui rendent hommage finissent par devenir ceux qu'on cite. Mais ici, j'ai vu des copiés-collés d'éléments que je connaissais... sans que ça ait forcément un sens, sans l'impact de leur version d'origine : l'enchaînement de la perte ongle-dent-oreille identique à La Mouche, les décors calqués sur Shining, les suites de gros plans brutaux à la Requiem For a Dream. Je laisse le bénéfice du doute au film sur ce point cependant : peut-être est-ce l'évidence personnelle de ces clins d'oeil qui les a vidés de leur substance (mouahaha) lors de mon visionnage.
Un trou dans la posologie
Ensuite, beaucoup de choses ont contribué à me laisser en dehors du film. La première étant le survol de l'univers et notamment du fonctionnement de la substance elle-même.
Déjà, comment l'obtenir ? On ne demande pas d’argent à Elisabeth ? J'accepte volontiers qu'une partie du message soit qu’elle paie très cher au final, par son corps et par sa vie… mais la réalité resterait alors plus cruelle que la fiction, au vu des fortunes que les femmes dépensent sur toute une vie pour se conformer aux standards de beauté, des cosmétiques aux chirurgies en passant par l’épilation, les régimes, le sport... Dans La mort vous va si bien, en plus de le payer également de leur corps et de leur vie, Madeline et Helen paient pour la potion de jouvence un montant jamais dévoilé mais exorbitant. Et c’est bien plus terrifiant, malgré le ton comique du film : quand ça tourne mal avec un service qu’elles ont déjà payé une fortune, on prend réellement conscience de l’ironie de la chose, de la tromperie… et de l’horreur.
Ensuite, comment ça marche ? Je ne demande pas à connaître la réaction biologique exacte, je suis très bon public et je suspends facilement mon incrédulité. Mais j'ai trouvé le principe-même du fonctionnement des corps très mal établi. À la « naissance » de Sue, la vue à la première personne nous dit que la conscience d’Elisabeth a été transférée dans ce corps. Mais rapidement, on a des doutes. Ce n’est pas juste un autre corps, c’est un double complet, conscience incluse, puisque chacune découvre les actions de l’autre à son réveil. Mais alors, s’il s’agit d’une autre entité, Elisabeth ne profite à aucun moment d’être dans le corps parfait de Sue donc : quel est l'intérêt pour elle, dès le départ ? D'autant que, très vite, elle ne fait que subir ce double qui détruit sa santé mentale et physique. J'ai fini par miser sur un dédoublement de personnalité, sans certitude. En 2h20, ça n'aurait pas été du luxe d’éclaircir ce point autrement que par Demi Moore qui se tape la tête sous la douche ou le matraquage du « You are one ». Le déroulé répétitif n'a pas aidé : rapidement, les semaines de l’une puis de l’autre passent en quelques minutes, sans s'attarder sur des situations du quotidien ni dans leurs têtes... enfin, surtout pour Sue. Tout ce que je sais de Sue, c’est qu’elle est égoïste, prête à tuer à petit feu la femme qui lui a donné la vie juste pour rester belle, sans questionnement moral, sans un regard hésitant quand il s'agit de piquer Elisabeth dans sa plaie purulente (hello Requiem, encore). Sue n'est que soif aveugle de beauté. On ne peut pas compter sur l'exploration de sa psyché pour savoir si elle est bien une Elisabeth bis. Tout est si archétypal et simple dans la première heure que sans cette information littéralement basique au moment charnière... le reste du film se casse la gueule. Si effectivement nous n'avons affaire qu'à une seule et même personne, je ne l’ai jamais intégré.
Par conséquent, j'ai assisté à la deuxième heure et au climax des trente dernières minutes avec beaucoup de détachement. J'ai bien compris qu'on aurait voulu que je sois dans ses rangs, que je ressente sa détresse, sa colère, le plaisir d'une vengeance jouissive ou une empathie similaire à celle que j'ai eue pour un John Merrick (Elephant Man) ou un Brundle-mouche. Mais non, rien de tout ça n'a marché sur moi.
Passons au sujet du body horror. Ma culture en la matière est assez réduite mais on m'avait vendu quelque chose de tellement choquant que... comment dire... euh, c'est tout ? Les effets sont géniaux, c'est indiscutable mais j'ai des souvenirs de The Thing ou même Brand New Cherry Flavor bien plus dérangeants. Parce que pour ma part, même cette horreur-là dépend aussi beaucoup du contexte, du décor, de l'ambiance. J'ai ressenti moins de malaise devant ces "bidouilles corporelles" dans une salle de bains aseptisée que devant les plans incessants sur le cul de Margaret Qualley. Le seul aspect body horror de The Substance qui ait fonctionné sur moi, c'est celui qui consiste à assimiler le corps de Sue à de la viande, au sens propre.
On était à ça.
Pour autant, si je suis frustrée et si j'y pense au point d'en faire un article, c'est que The Substance a tant de qualités que ses défauts m'agacent davantage que s'il avait été mauvais de A à Z. Certaines choses sont brillantes.
Pour commencer, la "naissance" de Sue, qui restera pour moi bien plus marquante visuellement et riche de sens que la supposée apothéose de fin, parce qu’à ce stade du film, j'étais encore impliquée.
Ensuite, la scène qui m'a fait trembler du menton tant elle est juste : la préparation au rendez-vous galant. Sans un mot. Juste les allers-retours d’Elisabeth devant son miroir pour tantôt ajouter du maquillage, tantôt couvrir son décolleté qui n’a plus 20 ans, avec pour seule ponctuation le portrait de Sue qui se fait de plus en plus oppressant de perfection, poussant Elisabeth à se trouver de plus en plus laide... jusqu’à détruire son maquillage et renoncer à sa soirée. J'ai pris dans la gueule toutes les fois où j'ai eu ce mouvement de recul, cette dissonance cognitive, cette pensée incontrôlable "Wow, je suis dégueulasse !" en me croisant dans le miroir juste après avoir vu un film peuplé de visages parfaits. J'aurais adoré que le film traite tout son propos avec la même maîtrise.
Enfin, le choix de Demi Moore pour incarner Elisabeth relève de l'évidence. "Comment une femme qui ressemble à Demi Moore peut-elle se trouver moche ?" Justement, c'est tout le problème. Déjà, difficile de ne pas faire le lien avec le traitement subi par l'actrice, moins visible dès ses 40 ans et qualifiée de cougar dès le début de sa relation avec un homme plus jeune qu'elle. Ensuite, ce que dénonce le film n'épargne personne et encore moins les belles femmes, même pas les plus jeunes : l'une des meilleures idées du film étant quand Sue finit par s'injecter la substance. Ce n'est jamais fini, on n'est jamais assez belle.
Malheureusement, au final, sans une base solide au procédé qui est au coeur du scénario, toutes les couches posées dessus ne tiennent pas et le message se perd aussi. J'ai vu dans The Substance énormément de symboles et de lectures possibles, au-delà de l'injonction à rester jeune mais toujours liés aux diktats imposés aux femmes : la maternité, les troubles du comportement alimentaire... mais je n'ai pas eu le loisir de ressentir les émotions qui allaient avec n'importe laquelle de ces lectures. J'ajoute à ça des évènements pour la grande majorité très attendus, le fait que je n'ai décroché aucun sourire ni grimace pendant 2h20 et vous avez une idée de mon état d'esprit quand la lumière s'est rallumée dans la salle. Reste que, ce soir-là, j'ai été contente de me croiser dans le miroir.
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